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MAIS DE QUOI CA PARLE ?


Texte de Julien Machado, extrait du catalogue " 2 Pas Sages ", exposition au Centre d'Art Contemporain d'Istres en 2007


De l'enfance ?

Un voyage dans l'enfance pourrait être la première impression qui émane du travail d'Olivier Grossetête. C'est d'ailleurs là dessus que chacun s'accorde bien souvent. Une unanimité de premier abord en quelques sortes. Vous verrez en effet…, vous verrez les sourires sur les lèvres se former au gré des œuvres exposées. Vous ressentirez peut-être l'impression d'une nonchalance, d'une plaisanterie, d'une boutade devant ce pont suspendu, devant cette ville découpée ou ces papillons éclairés. De même peut-être serez-vous interloqué par le caractère polymorphe de ce travail. Rien qui mette sur la voie d'un lien apparent entre toutes ces oeuvres. Un grand enfant cet artiste alors? Un gamin, au travail décousue comme peut l'être celui d'une petite tête blonde passant d'une chose à l'autre sans que pour l'adulte qui assiste à la scène il n'y ait de continuité. Si telle est votre impression c'est que vous n'êtes qu'à la première page du voyage proposé par cet artiste.

Du jeu ?

La seconde, peut être la conscience du lien dans ce travail, conscience qui paraît chez le chaland. Une évidence s'installe. L'évidence que c'est le jeu qui ici fait loi. Cet artiste n'est en fait pas un grand enfant, c'est un joueur. Il joue. Il joue avec les mots, il joue avec les formes, avec les volumes et les matières, il coupe et découpe, plie, colle, dessine, forme et déforme, nomme et dénomme, arrache, assemble et compose. La reconstitution des scènes de film avec un bateau en papier est exemplaire de ces jeux. Le jeu est l'idée majeure, l'axe, il pourrait être le concept, si concept il y avait dans le travail d'Olivier Grossetête. Mais pas de concept ici… le concept n'est qu'un moyen de saisir simplement un réel trop complexe. Or, dans ce travail le réel n'a pas besoin d'être saisi. Le réel reste ici complexe. Il n'est pas simplifié. Il est "juste" mis en autre forme. D'un plaisantin jouant agilement avec le réel il s'agirait alors ?

D'une plaisanterie alors ?

Peut-être, peut-être en effet si vous ne percevez que les jeux de mot. Un poulet écorché en contraventions, du travail mis sur papier, des amandiers en feuilles d'amendes ou encore une lune que l'on aide à lever. Un plaisantin ? Peut-être, si ce sont les jeux de groupe qui vous interpellent, comme ces constructions monumentales des "moments situationnistes" où jouent ces dizaines de personnes à élever un édifice en carton. Un plaisantin ? Peut-être, si la pesanteur semble être éludée et comme effacée par une montgolfière, un pont en suspension ou une personne assise… dans l'air. Enfin, un plaisantin à n'en pas douter, si l'acte de création se doit d'être une épreuve, si la souffrance doit accompagner l'artiste ou si le faiseur d'œuvre se doit d'être un écorché. Car ici l'image de l'artiste souffrant pour nous ouvrir le monde est balayé; pas de spleen Baudelairien, pas de déchirements, pas d'impression d'accouchement… aucuns de ces moments pouvant coder la création et laisser faussement croire qu'un artiste se doit de souffrir. C'est peut-être là où l'on songe à une plaisanterie. Mais attention ne vous arrêtez pas à ce point vue en creux. Ou alors arrêtez-vous y vraiment.

D'un moment que l'on s'accorde ?

Si le temps ne vous est pas compté ce jour là, si vous le laissez s'écouler pour en arriver presque à l'ennui, alors verrez-vous paraître une autre page. Et peut-être est-ce seulement dans ce début d'ennui que se trouve la part d'enfance que l'on croyait saisir de prime abord. Cette autre étape est la notre. C'est de notre monde dont il est maintenant question. Il n'y aurait qu'un pas à dire qu'il s'agit de notre propre enfance trouvant ici une place; une enfance passant du plat de nos souvenirs aux formes données par cet artiste. Mais ce ne serait pas tout à fait juste. Il s'agit plutôt d'un regard, d'une dérision même, une dérision du monde des grands, une dérision du monde des adultes, une dérision de notre monde.

D'un regard sur notre monde !

Ce pourrait donc être d'un regard sur l'absurdité du monde auquel nous contraint Olivier. En effet, êtes-vous sûr de savoir ce qu'est le travail au regard de ces six mille feuilles manuscrites sur lesquelles est précisément marqué "c'est du travail"? Le jeu est-il un travail ou le travail un jeu? Que penser de cette mongolfière faite de ces lettres émanant de diverses administrations? Une lubie d'artiste? Ou un symbole de l'autorité qui s'envole? Que penser de ce pont suspendu qui ne relie plus rien? Est-ce juste un pont? Ou une image de l'inutilité d'objets complexes nous entourant? Que penser de ce tableau d'un Naples amputé de ses jardins privés? Privé de ses jardins élevés? La représentation d'une ville trouée ou le symbole d'une nature commune dépossédée? Enfin ce poulet écorché? Un simple jeu de mot ou une autorité mise à mal ?

D'un drôle de jeu ou d'un jeu d'rôle ?

Le voyage auquel nous sommes ici conviés est comparable aux mo(nu)ments "situationnistes" proposés par Olivier Grossetête. La construction de ces édifices en carton est d'abord une blague à laquelle enfants et adultes participent avec le même entrain. Une aventure "pour de faux" dont la première page débute avec ces tas de carton que certains s'empressent de mettre en forme quand d'autres prennent le temps d'apprivoiser. Vient ensuite l'étape de l'assemblage des éléments, sorte de jeu collectif orchestré par l'artiste; jeu de rôle où il n'est pas rare de croiser des Césars, des Ramsès ou quelques Néfertitis. Une fois l'édifice élevé, c'est l'accalmie. Le badaud s'arrête à côté du chaland, parfois dans l'ombre de ce monument nouveau près duquel certains se posent, se reposent, observent ou rêvent. Les plus patients verront la dernière page. Celle de la fin de l'histoire. Celle où un édifice vacille avant de choir dans un moment d'explosion auquel tous contribuent. Et enfin, ces cartons mis en forme, qui redeviennent tas, presque cendres.

Un jeu ? Un enfantillage ? Ou une réappropriation du monde ? Une passerelle (un pont peut-être ?) entre rêve et réel, un moyen de rendre à chacun une part de ce qu'il construit, de ce qu'il est. Et cette part n'a-t-elle pas un sens particulier lorsque l'on sait que chaque construction représente un monument important de la ville dans laquelle se déroule la performance ? Cette sensation que l'on éprouve au début du voyage est sans doute celle de cet aviateur égaré rencontrant le petit prince. L'impression de ne plus savoir qui est des deux l'enfant et si c'est à Olivier ou à nous qu'il revient le soin de dessiner l'animal.